Un projet, un timing parfait, et mon départ de Paris est décidé. Une entreprise colossale après huit ans de vie parisienne.
L’ardoise magique : tout effacer pour tout recommencer
Devant un préavis de 3 mois, et un travail à temps plein, mieux valait prévoir large pour préparer les cartons. 33M² de meubles et objets personnels imbriqués comme dans une partie de Tetris, une cave remplie, et un plan d’empaquetage à long-terme, m’ont assuré une mission de grande ampleur, dont le début lui-même était un challenge.
Premier défi, le premier carton. Où le mettre ? Pas un mètre carré de libre pour le poser. Avant de pouvoir attaquer, une réorganisation du mobilier et un empilement arbitraire s’imposaient. Après une expédition à l’autre bout de Paris pour ramener un premier kit d’emballage dans le métro, le gros du travail commençait.
Chronophage mais incontournable, l’étape 1 de ma préparation passait par la dé-décoration, basé sur tous les verbes en dé. Décrocher les tableaux, dépunaiser les posters et cartes postales, dégager les étagères, etc. Une phase difficile où il faut emballer les souvenirs les plus attachants. Comme effacer toute sa vie d’un coup de brosse. Emballer pour ne pas déballer. Une différence qui marque la nature troublante de l’opération qui m’occupait. En décrochant ma déco du mur, en retirant chaque objet posé sur les meubles, je prenais le temps de regarder, d’apprécier la valeur de chaque chose, le souvenir que ça m’inspirait. Une perte de temps me direz-vous? Mais lorsqu’il s’agit véritablement de dire au revoir (pour quelques années) à toutes ces affaires qui comptent, un minimum de cérémonie s’impose. Car au final, je me trouvais face à une ardoise magique. Je venais de tracer un chemin dans ma vie, un dessin plus ou moins réussi, mais l’ardoise étant pleine, j’ai commencé à la secouer. Dès lors, tout commence à s’effacer, pour repartir de zéro, ou presque. Tout enfermer dans des cartons signifie redémarrer indépendamment de mes souvenirs, des choses que j’ai pu acheté, des années déjà écoulées, et prendre une direction nouvelle et libre du passé. A cela près que l’utilisation répétée de l’ardoise magique laisse des traces, comme celles qui resteront avec moi une fois distancée de mes cartons. L’idée-même du pouvoir d’une ardoise magique appliqué à la vie quotidienne est un rêve, une chance de prendre un nouveau départ.
Moving black hole
Un carton, puis deux, puis une pile complète. Progressivement, toutes mes affaires se trouvent aspirées par ce trou noir. Pas de répit, le temps qui s’écoule ne le permet pas. Vient alors une nouvelle phase, où les meubles commencent à disparaître. Trop volumineux pour les glisser dans un carton, j’ai du me séparer de nombreux meubles merveilleux. Des moments tristes qui laissent un vide conséquent dans l’appartement. Au début, c’est les posters qui font place à des murs blancs. Puis, la disparition des meubles crée une zone inoccupée qui modifie la luminosité globale du studio. Comme un trou noir, dont le pouvoir d’attraction retient le regard. Dans le fond, c’est le moment où « chez moi » a disparu. Dans mon esprit, j’étais déjà partie, traversant les eaux troubles qui me séparent de mon beau projet.
Xena contre Toutencarton
Finir la préparation à temps pour le grand déménagement s’est révélé un combat. Trois mois de cartonnage quotidien à la fin de la journée, des week-ends entiers, et même quelques congés n’ont pas suffit à boucler en avance. Contrainte de perdre mon temps précieux pour satisfaire les demandes excessives d’agents immobiliers diaboliques, je me suis retrouvée à 24h de l’arrivée de la camionnette à court de cartons. Un drame évité par un service de livraison à domicile qui a pu m’approvisionner en cartons dans la journée.
Mais le jour J, qui précède le jour Katastrophe, le déménagement de l’extrême restait à faire. Rush matinal pour clôturer les derniers cartons et préparer les meubles pour le chargement. Mon équipe réduite de déménageurs volontaires est arrivée au compte-goutte. Entre temps, l’achat impromptu d’un petit diable s’est imposé, suite à la disparition du diable force 4 de l’immeuble. Une nécessité compte-tenu de la quantité de cartons dans la pièce.
Avec un déménagement en un week-end d’un bout à l’autre de la France, pas le droit à l’erreur. Il faut se transformer en guerrière pour charger aussi efficacement que possible. Xena à la préparation des tas à charger sur le diable aux portes de l’ascenseur, Déménageur 1 & 2 aux aller-retour du diable, et Déménageur 3 au bout de la ligne. Pour Xena, c’est un combat contre le titanesque Toutencarton. Pour ne pas ralentir les volontaires, courir d’un bout de l’appart à l’ascenseur, en poussant ou en portant les cartons, encore et encore, jusqu’à former des tas équilibrés, prêts à charger.
Le jour K, mission déchargement et retour de Xena. Avec un train en fin de journée, l’arrivée en camionnette en début d’après-midi laissait peu de temps au repos. Faisant abstraction des crampes, fatigue et sciatiques, Xena fait alors face à une nouvelle épreuve de force. Située en zone péri-urbaine, la destination des cartons se présentait avec une route défoncée à parcourir à chaque aller-retour avec le diable, quelques marches, et un passage étroit par un jardin au sol glissant… Difficile de croire que je n’ai pas manqué mon train. Mais au terme d’un déménagement aussi extrême, c’est avec une panoplie de courbatures que je suis retournée au boulot le lundi matin.
Faire les carreaux… une expression revisitée
On connait tous l’expression « faire les carreaux », certains mêmes la pratiquant régulièrement. A l’occasion du grand ménage qui précède l’état des lieux de sortie, j’ai découvert une nouvelle manière de faire les carreaux, dans un sens très littéral. Là où traditionnellement, cela fait référence au nettoyage des vitres, les carreaux sur lesquels je suis passée étaient d’une autre nature. La méthode la plus radicale de nettoyer un carrelage est ainsi de procéder carreau par carreau, pour ne louper aucune trace. Un exercice ardu quand, en plus de la cuisine, un carrelage à petits carreaux recouvre un grand balcon.
Ariel quitte l’océan pour rejoindre la marre aux canards
Déménagement bouclé, le départ de Paris s’est accompagné d’une fin de contrat. D’un coup, j’ai migré d’un emploi dans la capitale française à un chômage dans une technopole désuète. Un changement radical pour Ariel, le sosie qui m’avait été attribué par mes collègues, désormais déportée dans une petite marre sans fond. Avec une collection de ronds points superflus, on y tourne en rond comme les canards.
La mélodie d’Austerlitz
Le vrai départ de Paris s’est fait quelques jours après avoir rendu les clés. Emportant mes dernières affaires dans quelques sacs, j’ai rejoint la Gare de Lyon un peu au hasard sans réservation. Les trains restants étaient déjà complets. Arrivée au bout d’un trajet épique, l’idée de refaire la balade en sens inverse chargée comme j’étais ne m’inspirait pas le plus grand enthousiasme. En voyant qu’un train de nuit était disponible au départ de la Gare d’Austerlitz, mon choix était tout fait. Prenant l’ensemble de mon paquetage, je me suis dirigée vers la gare jumelle à pied. Aussi efficace ou plus que de chercher une alternative en transports en commun, et approprié pour tuer le temps. Le train de nuit ne partait que plusieurs heures plus tard. Heureusement, j’avais conservé une réserve de magazines de mes derniers voyages en train.
Arrivée à Austerlitz, une certaine magie s’est diffusée. Assise dans cette gare typiquement parisienne, j’ai entendu jouer le générique de fin de ma vie à Paris. A quelques mètres de moi, se trouvait l’un des pianos mis à la disposition des voyageurs. Par chance, plusieurs musiciens s’y sont succédés, me permettant ainsi de profiter de magnifiques mélodies au piano à un moment des plus symboliques. Vivant mes derniers instants à Paris, ces morceaux m’ont servi de musique de fin.