20h passées, je sors à peine du boulot. Les lumières sont déjà éteintes, les bureaux sont vides. Sur le pas de la porte, hésitation. A droite? A gauche? Tous ces changements d’itinéraires me désorientent.
En ce début de soirée, les bus sont plus espacés. Mais la circulation est meilleure. Mon arrêt approche. J’ai trouvé un nouveau point de repère. A la vue du Musée d’Orsay, je sonne la cloche. Heure du crépuscule, le meilleur moment de la journée. Au-dessus de la Seine, brille une lune presque pleine d’une douceur orangée. Une merveille qui m’interpelle une minute. Bientôt mon équipement photo me rejoindra pour immortaliser ces tableaux parisiens. Après 15mn de marche, et 6 étages de marches, j’apprécie la fraicheur qui vient de l’extérieur. La Tour Montparnasse me fait face, j’aperçois la Tour Eiffel illuminée entre quelques immeubles. Ce matin encore, je voyais s’éveiller un atelier de mode, ses mannequins en plastique disposés de par et d’autres de la pièce. C’est là qu’on réalise, je suis au cœur de la vie parisienne. A la place la plus symbolique des immeubles parisiens, une chambre de bonne sous les toits près de la Seine et du Musée du Louvre.
Ce n’est pas le confort qui fait les légendes, ni même l’or ou l’argent. Ce sont les ruines laissées par le passé qui laissent place à un imaginaire débridé, lâché en liberté. Visiter un château pour effleurer la vie d’antan, visiter les musées pour découvrir les traces de ce qui nous a précédé. Individus, monuments, histoire combinant les deux… Il ne suffit pas de vivre dans un immeuble ancien, ou d’utiliser l’édredon de grand-mère. N’est pas légendaire n’importe quel immeuble, ni n’importe quel quartier. L’ambiance fait la différence. Longer la pyramide du Louvre en allant prendre son bus, contempler la Tour Montparnasse amiantée depuis sa chambre surchauffée en cette fin d’été indien, admirer la Tour Eiffel en gros plan sur le chemin matinal. Pas besoin de jumelles, c’est Paris en grand, Paris en 100%, sans dilution, sans diversion. Juste Paris.
Life in Paris: chapter 1
Installée confortablement à Paris depuis 8 ans, j’avais mes marques, mon « chez moi » avec meubles attachants et de nombreux objets personnels. Un job, des loisirs, une belle vie. Proche de la ligne 14 et de toutes commodités, j’avais mon quotidien. Paris était mon 1er choix, une ville de culture, une ville de transports, de liberté. Rien que la 1ère année, j’ai accroché une douzaine de beaux concerts à mon tableau de chasse. Un bal des pompiers par ci, un feu d’artifice du 14 juillet au pied de la Tour Eiffel par là. J’étais à 2 pas des grandes attractions touristiques, de la culture, de mes concerts tant chéris, sans difficulté pour rentrer chez moi. Au cœur de la ville, je m’y sentais en sécurité et libre. Une ville pratique pour profiter du quotidien, sans limites, ou presque. Le plus beau souvenir de cette époque : mon appart de rêve que j’ai eu tant de mal à quitter. Grand studio avec balcon, dans un immeuble neuf avec gardien… une opportunité rare, bien agencée, qui présentait même son propre dressing (ô dressing de « Sex and the city »). J’ai mené la grande vie, et cette vie parisienne-là n’est pas prête de tomber dans l’oubli.
Life in Paris: chapter 2
Du quartier des olympiades de la ligne 14, j’ai migré (après un bref interlude) vers les madeleines du 7e. J’ai troqué le confort de mon loft parfait pour le réconfort des merveilleuses madeleines Saint-Michel. Un échange atypique qui se justifie par ma nouvelle vie d’étudiante non étudiante.
Une (vraie) vie d’étudiante
Sans avoir repris mes études, j’ai adopté un style de vie typique des étudiants. Contexte oblige, je dois jongler entre le boulot, les courses alimentaires, et la laverie, comme toute jeunette sans le sou. Un retour aux fondamentaux que j’ai finalement peu connus sous cette forme, plus habituée au semi-luxe depuis ma première arrivée à Paris. Mes nouveaux rituels du quotidien ont prix place, accaparant davantage mon temps que par le passé. Avant, j’aurais fait les choses au moment où je le sentais utile. Désormais, j’ai un timing à respecter, réalisant mes rituels selon un rythme hebdomadaire calculé. Sortir de mes rituels serait source d’incompatibilité avec le reste du quotidien. Ainsi, je compte désormais sur les horaires des enseignes que je me suis notés, optimisant de manière à réduire mes allers-retours dans les 6 étages d’escaliers. La laverie est un rendez-vous du dimanche, équipée cérémonieusement de mon ordinateur pour ne pas perdre tout mon temps, revenant chargée de linge propre et chaudement séché par le séchoir.
Mais le coeur de cette vie d’étudiante tient essentiellement dans mon logement, cette chambre de service (ou chambre de bonne), si caractéristique du statut d’étudiant. Allant à contre-courant, c’est au moment où mes congénères arrivent au stade de l’achat immobilier ou du mariage que j’entre dans la phase du logement minable et des économies de bout de chandelle d’un étudiant fauché. Une course d’obstacles de haut niveau pour l’égo d’une jeune « assimilée cadre ».
C’est ainsi que revenue à Paris, je conserve un statut nomade, qui me prépare d’ores-et-déjà à mes futurs voyages. Emmener son rouleau de papier toilette est désormais une pratique maîtrisée. Comme toute chambre de bonne, les WC sont sur le palier. La douche est posée étrangement mais utilement à l’intérieur de la chambre. Le style petite chambre meublée présente un certain cachet. Avec un espace en miniature, une fenêtre donnant sur les toits, la tour Montparnasse et la Tour Eiffel plus à l’ouest. Orientée sud, je fais dos à la Seine qui s’impose comme le centre de mon quotidien. Point commun de ma vie antérieure, je reste Rive Gauche, à 10mn de la Seine. Vivre ainsi dans une petite pièce avec peu d’affaires comporte une certaine simplicité qui n’est pas pour déplaire. Le matin, tout est plus simple, le choix vestimentaire est optimisé par la quantité réduite d’options. L’absence de cuisine, plaques ou micro-onde me donne une bonne raison de manger ce qui me plait, des fameuses madeleines Saint-Michel au paquet géant de M&Ms, des biscuits apéritifs aux soupes instantanées. Pourquoi se priver ? Avec les 6 étages quotidiens, l’équilibre est vite trouvé. Très symbolique, ma clé elle-même est digne d’un objet collector. Plus grande que mon index, on dirait presque un accessoire de théâtre.
Une éternelle balade dans Paris
Chaque jour me fait voir Paris différemment. Si les lieux restent les mêmes, le ciel change la scène complètement. L’obélisque de la Concorde affiche ainsi une pointe sombre lorsque le soleil se lève, et d’un doré éclatant sous une couche épaisse de nuages gris. Un jeu de lumière des plus intéressant. Située au centre de Paris, je suis tellement proche de tout que les transports en commun se révèlent souvent peu efficaces pour me déplacer. Je me retrouve alors à faire de longues ballades le long des quais, apprenant l’ordre des ponts parisiens, traversant régulièrement la symbolique île de la Cité. Tant d’itinéraires pratiqués par les touristes, et rêvés par ceux qui n’ont jamais visité Paris. Pour moi, c’est le quotidien. Jour après jour, je marche, en me rappelant qu’il faut apprécier la vue de Paris. Avant je vivais dans Paris la ville pratique. Aujourd’hui je vois Paris, la ville magnifique. Le cinéma le confirme bien, je mène la vie parisienne. Que ce soit les pubs de célèbres parfums parisiens, ou les films en tout genre, français et étrangers, lorsque Paris est représenté, mes pensées sont presque toujours : « c’est à côté de chez moi », « encore hier, je passais devant », etc.
Une fois mon cher appareil photo revenu à moi, cette balade dans Paris sans fin a pris la direction du reportage photo. Après avoir tant rêvé à ce moment où je pourrais photographier les magnifiques levers de soleil au-dessus de la Seine, en fond de Tour Eiffel, ou la couleur des nuages au-dessus de Paris au crépuscule, me voilà équipée. Une nouvelle tradition a pris place. Plutôt que de regretter de ne pas avoir pu immortaliser un spectacle grandiose, mon appareil a trouvé sa place dans mon sac à main. Sur chaque trajet, je prends les mêmes photos, des mêmes lieux symboliques de Paris (Concorde, Tour Eiffel, Ponts), mais chaque photo est différente. Le contraste, la luminosité, le cadrage, les nuages… Il est intéressant de faire cette collection qui montre à quel point Paris est différente, d’un instant à l’autre, à quel point le moment compte.
L’aventurière du Graal Netflix
Dans cette nouvelle vie parisienne, les loisirs se font rares. Trop coûteux, ils se réduisent à des activités simples et illimitées. A mon premier retour sur Paris, lorsque j’étais encore en situation d’hébergement d’appoint (quoique le descriptif colle toujours assez bien à ma situation actuelle), je ne rêvais qu’à une chose, m’abonner à Netflix. Le tant attendu Netflix. Il faut avoir un projet pour faire face au quotidien. A ce moment-là, c’était le mien. C’est dire le point où j’en étais arrivée. Mais comme de tradition, les choses se sont passées différemment. Il m’a ainsi fallu plus d’un mois, rebondissements compris, pour obtenir une connexion internet au sein de mon logement. Entre temps, Netflix est sorti, et ne pouvant répondre à ma première impulsion pour raisons techniques, je ne m’y suis pas abonnée. Puis, internet est arrivé, et je ne m’y suis toujours pas abonnée, mon ordi ne me permettant pas une lecture décente des vidéos en streaming, et la qualité du catalogue actuel étant remise en question. Alors, pourquoi payer pour voir des vidéos saccadées? C’est ainsi que j’ai abandonné la quête du graal Netflix. Si Indiana Jones me voyait…
La carte vitale UGC
Un mois sans internet, à revoir la même série TV pour la 50e fois peut vite devenir ennuyeux. Dans l’intérêt de ma santé mentale, je n’ai pas attendu pour élire résidence à l’UGC des Halles. Un traitement approprié dans ma situation pour tant de raisons : un abonnement illimité à 20€, un accès internet wifi gratuit dans l’UGC, une balade obligatoire de 25mn le long des quais pour rejoindre le ciné, et un combo Starbucks-MacDo pour le plaisir de mon estomac. Côté santé, ma carte UGC est devenue ma vraie carte vitale, celle qui me sauve la vie, quand celle de la CPAM, dont l’existence fictive relève d’une légende, m’entube un peu plus jour après jour.
Essentielle à ma survie, ma carte UGC illimité se révèle une solution idéale. D’ores et déjà adepte du cinéma, j’en profite sans limite, rentabilisant largement mon abonnement. Le ciné a pris la place de la télévision dans ma vie, ne disposant pas de TV dans ma petite chambre. Chaque film me force à mettre le nez dehors, et en prime, je me cultive. Une option constructive pour échapper au désespoir et à la déprime que le contexte de mon retour à Paris pouvait m’assurer.
Jeu de vie : combien de sabliers ?
Par moments, j’ai l’impression de jouer à Destin ou n’importe quel jeu de société comportant un sablier. Habituellement vendu avec les règles du jeu, ce jeu de vie anonyme voit ma vie basculer, mise sans dessus dessous à chaque tour de sablier. Je sens presque les grains tomber, sachant inconditionnellement que tout sera bientôt renversé sans aucun contrôle. Le temps est compté et il en manque toujours. Le temps se répète et la routine s’installe. Le temps passé au travail, les délais, le temps manquant chez soi, le temps perdu en administratif déconstructif, etc. Je voudrais pouvoir dire stop, on arrête le sablier, et le mettre à plat sur la table. Ou lancer un dé et gagner un sablier supplémentaire. Puis je me demande finalement si le sablier n’a pas un sens, comme un sablier cardinal à 4 directions. S’il faut aller à l’est, j’irai à l’ouest, c’est bien connu. Ma vie actuelle en est la preuve. Mon sablier à tourné dans le mauvais sens. Du confort de ma première vie parisienne à une chambre de bonne, du permanent au temporaire…
Plus encore, si ma vie était une série TV, elle serait diffusée par TF1. Car seul TF1 est capable de diffuser les épisodes dans un tel désordre. Un trait caractéristique de ma vie, déjà vu par le passé. Une vie de salarié à l’envers à Paris, une vie d’étudiante retardataire en NZ. Un anachronisme total renforcé par le déroulé chronologique de la vie de mes amis qui, eux, progressent dans leur vie. Est-ce à cause de mon goût prononcé pour les fictions temporelles (Marty Macfly et autres voyageurs dans le temps)? Aurais-je gagné ma propre machine à voyager dans le temps à la loterie cosmique à laquelle je ne me suis pas inscrite? Les réminiscences se produisent sans crier gare, produisant des moments d’un grand surréalisme. Comme être à deux endroits ou à deux moments à la fois. Lors de mes premières courses suite à mon « emménagement », je suis tombée sur mes Tim Tam adorés, un produit chocolaté australien délicieux, qui jouait un rôle essentiel dans ma vie néo-zélandaise. Et c’est au moment où j’aurais dû être repartie que je tombe dessus par hasard dans un Monop…